Datacentre d’art est l’énoncé programmatique d’une œuvre au long cours d’Étienne Cliquet qui prend place dans des centres de données informatiques plutôt que dans des lieux d’exposition dédiés. La vocation publique de l’action et de la situation est incertaine: les datacenters sont des endroits privés et de par leur activité, hyper sécurisés. La pratique active, réactive, interactive d’Étienne Cliquet hors des cadres déterminants de l’art pour l’art (l’espace de, le commentaire sur) remet l’ouvrage sur le métier. Quel est le devenir public de Datacentre d’art?
Convoquant l'art pariétal à l'ère du net, deux premières peintures murales ont été réalisées dans la salle blanche de la société Fullsave à Labège et au sein du supercalculateur de l'université Laval à Québec. Étienne Cliquet conçoit des cartographies inédites, des mappemondes comme figuration tangible d'une réalité numérique. Ainsi Circuit béant restructure les territoires selon l’implantation intercontinentale des câbles de fibre optique et leur degré de connexion internet (contre toute logique de représentation dominante, les pays les plus connectés sont désarticulés et excentrés). Allée froide propose une lecture spatio-temporelle des migrations humaines.
Étienne Cliquet élabore œuvres et expositions dans un contexte qui pose une équivalence entre des lieux physiques et emblématiques qui fonctionnent à l’inverse l'un de l'autre dans la visibilité́ de leurs activités. Quand le datacenter est évidemment sans accès physique public, le centre d’art (qui assume des missions de service public) est attendu sur le fait de trouver audience (forte, croissante, diversifiée). Collaborer concrètement avec les deux entités professionnelles imbriquées symboliquement dans Datacentre d’art, c’est être dans une pensée qui se pratique où chacun est en mesure de questionner ses usages propres.
C’est par exemple considérer et produire conjointement une publication de l’œuvre inhérente à sa nature et mobile dans son contexte d’inscription. Une publication dans toutes les acceptions du terme, puisque l’enjeu de porter Datacentre d’art à la connaissance du plus grand nombre se traduit par la parution d’articles et de photographies dans des périodiques généralistes, spécialisés et en ligne, avec la conception d’un site dédié (hébergé par la société accueillant la peinture Circuit béant), invitant à une lecture intuitive et transversale du travail. La passation de l’expérience par l’oralité est corrélative à la démarche mais nous nous adressons là, à chaque rendez-vous (rencontre privée ou publique, conférence) à une communauté distincte, à des amateurs et des praticiens (de l’art, du livre, du numérique) plutôt qu’à un «grand» public anonyme, usager et indéterminé.
L’œuvre d’Étienne Cliquet n’a rien de spectaculaire (d’ailleurs, il peut intervenir dans l’indifférence des salariés—c’est un élément qui échappe à toute forme de médiation impérative). C’est un art de l’activité critique et de l’infiltration douce. Et dans l’actualité des débats sur la neutralité historique et mise à mal d’internet, l’installation d’une œuvre au cœur d’un centre de stockage de données informatiques ne questionne pas seulement les conditions d’existence de l’œuvre.
– l’espace public comme l’espace du Net comme bien commun.
Cécile Poblon
Directrice et curatrice
BBB centre d’art, Toulouse